Faux départ
Le 3 mai, après avoir récupéré deux jeunes équipiers, nous tirons des bords depuis Pointe-à-Pitre pour contourner la Pointe des Châteaux et laisser La Désirade sur tribord. S’ensuivent une journée et une nuit au près qui, avec la mer formée et le bateau qui tape entament quelque peu le morale des troupes. Au matin, nous recevons sur l’iridium un mail de Philippe sur Azulado mouillé à St Martin pour nous prévenir qu’un front violent se trouve sur notre route. Effectivement, nos GRIBS confirment ce passage perturbé. Étant à la hauteur de St Martin, nous décidons de nous y arrêter pour attendre de meilleures conditions et peut être traverser avec Philippe qui attend un bon créneau. Soulagement de l’équipage (et de nous) quand le bateau se remet à plat au largue car décidément, le bonheur n’est pas dans le près.
Arrivée au mouillage du Marigot en mi-journée. Le lendemain matin, nos équipiers décident de quitter le bord et de trouver un autre bateau. Finalement, leur décision est plutôt un grand soulagement, une sensation de malaise entre le garçon et nous ne s’était toujours pas dissipée depuis son arrivée. Je ne développerai pas plus et l’erreur de casting m’incombe totalement. Ce retour, nous le ferons tous les deux. Nous n’avons d’ailleurs pas besoin d’équipiers pour faire avancer ce bateau que nous connaissons parfaitement et deux s’avérera être la combinaison idéale pour les longues traversées ; aucune responsabilité dans la gestion d’un équipage et la possibilité de mettre un gros foutoir dans le bateau mais aussi celle d’occuper toutes les couchettes en fonction de l’état de la mer. Pourtant la rencontre avec Luc, notre équipier imprévu de la transat aller fut un vrai bonheur et cela démontre que, comme disait Brassens, « l’âge ne fait rien à l’affaire ».
Nous décidons donc de partir avec Philippe et son Boréal 44 ainsi qu’un Ovni avec les propriétaires duquel il a sympathisé. Nous savons que nous nous perdrons vite de vue mais il est toujours agréable de d’entamer une transat à plusieurs. Mais nouvelle surprise, en vérifiant le compartiment moteur avant de mettre en marche, je m’aperçois que la pompe à eau de mer fuit. Pas de départ pour nous aujourd’hui et grosse inquiétude sur la façon de régler le problème. Mais la chance semble nous accompagner, en deux jours nous réussissons à trouver le bon modèle de pompe pratiquement au même prix qu’un kit de réparation et ses joints sans l’incertitude d’un axe détérioré qui le rendrait inutilisable.
À bien y réfléchir, ce stop à St Martin fut une bénédiction : résolution d’un problème qui aurait été compliqué à gérer en cours de transat et délestage d’un équipage dont l’incompatibilité aurait rapidement rendu l’ambiance à bord irrespirable. D’autant plus que ce voyage à travers l’océan fut long, très long !
Aller aux Açores ça essore
Nous quittons donc St-Martin le 9 mai dans un vent de est-nord-est faible nous faisant faire un cap au nord pendant deux jours au bon plein avant qu’une bulle de rien ne commence à nous encercler lentement mais surement. C’est le retour du tube de l’année « qui peut faire de la voile sans vent ». Qui ? Et bien nous qui commençons à exceller dans cette discipline. Alors, des journées d’errance se succèdent dans cette immensité liquide troublée parfois par des grains fournis en eau mais sans vent. Avec acharnement nous essayons de gagner du nord pour trouver des vents portants tout en préservant le bateau, malmené par cet océan sans souffle. Ça craque, ça grince, ça gémit, ça couine, ça claque. Tout cela tiendra t-il jusqu’au bout ? D’ailleurs, c’est quand le bout ? L’inquiétude monte parfois dans les tours, d’autant plus que les paliers inférieurs des safrans commencent à avoir beaucoup de jeu. Dans cette mer inanimée on les entend taper de plus en plus fort. Un commercial de chez Jefa (la marque des fameux paliers) que j’ai interrogé avant de rentrer m’a pourtant dit « don’t worry, it will not break », je ne suis quand même pas totalement rassuré. Pourtant, nous progressons. Peut-être est-ce seulement notre volonté qui nous propulse et passer les trois nœuds représente déjà une petite victoire sur notre adversité. Nos pires 24 heures cumuleront 52 miles… Désespérant ! Les fichiers météo changent toutes les six heures et établir une stratégie semble impossible. Pour résumer, on fait comme on peut. Nous pensons même faire un stop aux Bermudes pour attendre des jours meilleurs mais l’arrivée annoncée d’un grosse dépression sur l’archipel nous en dissuadera. Rétrospectivement, dans cette attente du vent nous apprécions de n’être que deux à bord.
Philippe, parti avant nous, et avec lequel nous échangeons par Iridium, a pu bénéficier de conditions moins mauvaises et n’hésite pas, avec ses 600 litres de GO à utiliser le moteur pour gagner des zones plus ventées.
Nous n’avons pas cette autonomie et devons prendre notre mal en patience. Les sargasses, toujours en nombre, ne sont de toute façon pas recommandées pour le système de refroidissement du moteur.
Un matin, je vois une voile à l’horizon. J’entame alors une discussion à la VHF avec le skipper qui m’apprend qu’il s’agit de sa dix neuvième transat. Il nous dit avec une grande conviction qu’il faut faire du nord, du nord, du nord. Etpiçétout ! Manifestement, nous ne jouons pas dans la même cour. Surement un professionnel… nous apprécions néanmoins de pouvoir parler à un humain… et suivons de facto son conseil puisque poursuivant tant bien que mal une route au nord mais pas trop car trop haut ça peut être très musclé.
Il est curieux de constater que dans ce grand désert bleu les routes de collision avec les cargos sont assez fréquentes. Nous en déduisons que les probabilités sont malicieuses et nous agenouillons religieusement et régulièrement devant notre AIS qui maintenant fonctionne depuis les Canaries nous évitant maintes fois de rayer la peinture.
Ici, les passagers clandestins ont des ailes. Ils se posent sur votre ancre pendant plusieurs jours, équilibristes intrépides se moquant du tangage et du roulis. De temps en temps il décollent, surement pour aller se nourrir, et reviennent sur leur perchoir, imperturbables. Ce n’est que l’envoi du spi qui délogera le nôtre ne trouvant sans doute pas la couleur à son goût. Nous découvrirons plus tard qu’il s’agissait d’un albatros….
Un pigeon, plus furtif, choisira également notre embarcation pour se reposer.
Et puis, cela devait arriver, une dépression assez creuse nous rattrape. Nous décidons d’en éviter le plus fort en faisant route au sud-est (pas vraiment vers Horta). En fait d’évitement il s’agit plutôt d’une fuite durant deux jours dans des creux de quatre mètres et des rafales de 40 nœuds. Un surf à plus de 15 nœuds sonnera l’heure d’affaler la GV déjà à trois ris pour ne garder qu’un petit bout de génois. Heureusement, le bateau ainsi que le pilote se comportent particulièrement bien. Barrer dans ces conditions eut été, comment dire ? Problématique.
Curieusement, le temps présent absorbe les jours passés et ceux à venir. Notre objectif devient celui du moment. Inutile de penser à l’arrivée, nous n’en maîtrisons pas la date. Seuls des repères rythment les heures : la météo, l’envoi de notre position et de mails, la bière de cinq heures (quelles que soient les conditions) et les repas.
Et puis écouter de la musique, lire, regarder la mer, ne rien faire… il est tellement mal vu et mal vécu dans ce monde hyper actif de ne rien faire.
C’est après 24 jours que nous mouillons dans l’avant port de Horta. Le lendemain, bizarrement, le souvenir de cette traversée laborieuse se sera déjà estompé. Drôle de fonctionnement que celui de nos cerveaux.
Plus tard, un voisin de ponton nous confiera que des amis à lui ont mis cette année 35 jours pour cette transat qui peut se faire en quinze….