Il est temps de changer d’île, le port de Radazul a besoin de notre place. Les grosses dépressions au nord de l’Atlantique vont bientôt apporter une très grosse houle jusqu’à l’archipel du Cap Vert et il faudra alors un endroit sûr pour s’en protéger. Nous décidons donc d’aller au plus vite au port de l’Estaca, peut-être le seul des Canaries où les place ne manquent pas. Situé au nord-est de El Hierro, ce petit caillou ressemble à la Sicile et constitue le territoire le plus sud de l’Espagne. Posé au milieu de nulle part, unique port vraiment abrité de l’île, peu de monde y fait escale car ici il n’y a rien. Juste le terminal du ferry qui relie Tenerife et sa cafétéria. Cela nous va bien, c’est là que nous attendrons la venue de Polyvios pour traverser sur Mindelo.
Le village le plus proche,Valverde, perché à 600 m d’altitude, est à huit kilomètres et un service de bus à horaires variables permet d’aller y faire des courses. Bien que le retour, une descente infernale qui met à rude épreuve les freins et les passagers de ces mini bus, soit très éprouvant, ce service de transport est cependant bien pratique.
C’est donc après un stop au sud de Tenerife dans un mouillage pas très paradisiaque mais pas trop rouleur, la Punta del Camello, derrière la digue d’un port industriel et au pied d’un parc éolien que nous quittons Tenerife avec un vent faible plus ou moins portant et changeant se transformant rapidement en 25 nœuds dans un près chaotique. Mouillage à la Gomera devant les falaises de Puerto de Vueltas.
La traversée vers El Hierro sera assez musclée avec un vent soutenu et une mer dans dans tous les sens qui mettra notre nouveau pilote Raymarine en décrochage sans que nous en comprenions la cause puisque ce coûteux équipier a déjà encaissé des conditions bien plus rudes. Heureusement notre vieux Jeffa et son électronique Navicontrol reprendra efficacement le relai.
Loin de nos soucis d’occidentaux gâtés, la proximité des Canaries avec l’Afrique nous ramène à une réalité bien moins réjouissante que notre vie de touristes flottants. Durant le seul mois d’octobre l’archipel a dû faire face à l’arrivée de 13000 migrants dont 7300 sur le sol de El Hierro devenue la nouvelle porte d’entrée très risquée vers un futur illusoire. Il est évident que pour une population de 11000 habitants cela pose problème. Les autorités transfèrent bien sûr ces personnes sur Tenerife puis l’Espagne sans que pour autant la cause de cet exode forcé et de masse ne soit véritablement envisagée. Car ces gens ne quittent pas leur pays de bon gré. En ce moment beaucoup de Sénégalais. La guerre, la misère, un avenir inexistant ne laissent pas d’autre choix que de tenter sa chance pour rejoindre un Eldorado qui souvent se révèle être l’Enfer. Et de la chance, il en faut pour arriver vivant de l’autre côté car les pirogues chargée à ras bord de cette pas si nouvelle marchandise humaine qui fait la fortune des passeurs ratent souvent leur objectif ou se font prendre par l’océan déchaîné. Les noyés ne se comptent plus, ils sont trop nombreux. Approcher de près une de ces frêles embarcations récupérées par la Guardia c’est sentir, mélangées à une odeur d’essence, celles de la souffrance et la mort.
Alors oui, sauver ces gens et les accueillir ne se discute pas. Mais jusqu’à quand ? L’Afrique se fait piller par une poignée de fous furieux depuis tellement longtemps. Ce sont les mêmes qui y installent les dictatures et arment des putschs sanguinaires, organisent la corruption et divisent les peuples. C’est de ça dont il faut parler. Les bons sentiments ont une limite.