Polyvios nous a rejoint le soir du 23 novembre et nous appareillons le lendemain dans l’accélération de la côte ouest de El Hierro. Le vent se maintiendra jusqu’en début de nuit accompagné d’une forte houle par notre travers. Puis moteur quelques heures pour avancer un peu.
« Qui peut faire de la voile sans vent… »
Comme dans la chanson nous nous posons la question car le vent semble avoir définitivement pris ses congés annuels. Nos fichiers GRiBS nous en proposent un peu à l’est vers l’Afrique et décidons de tenter cette option qui finalement ne sera pas la plus mauvaise. Mais il nous faudra cependant batailler pour rejoindre l’archipel du Cap Vert. Tangonage, spi, détangonage, petit coup de moteur pour sortir d’une bulle, les manœuvres s’enchaînent à une vitesse inversement proportionnelle à celle des milles parcourus. Finalement, Mindelo sera trop compliqué à atteindre et nous choisissons de faire un stop à Sal afin d’attendre de meilleures conditions pour rallier Sao Vincente. Bilan : 800 miles, 6 jours dont 20 heures de moteur.
Le mouillage de la Palmeira est tranquille et bien abrité. Le village bien qu’envahi par des hordes de gras touristes véhiculés en 4/4 ou en quads reste sympathique et ses habitants accueillants. Les formalités se font tranquillement et rapidement. Cependant, dès que l’on s’éloigne du centre, la pauvreté ne se dissimule plus. Alors malaise et sentiment de n’être pas à sa place dans ces parties déshéritées du globe.
Deux jours plus tard, nous filons vent de travers vers Mindelo. Les 110 miles sont avalés en moins de 20 heures. Le Cairn nous montre qu’il est ravi d’avoir retrouvé du vent.
Mindelo
Le lendemain de notre arrivée nous prenons une place au port de Mindelo où Polyvios préféra débarquer et reprendre un vol sur Paris pour soutenir sa compagne qui a des soucis de santé. Nous retrouvons avec plaisir Bruno notre voisin de ponton de El Hierro sur son First 25 et nous immergeons dans l’ambiance très particulière de préparation à la Transat qui caractérise le port de Mindelo.
La ville est agréable et les gens toujours prêts à rendre service malgré une mendicité très présente. La misère côtoie une certaine forme de richesse attestée par les nombreuses grosses cylindrées qui circulent alors que paradoxalement la vie est très chère, surtout la nourriture.
Les conditions sur l’Atlantique sont assez étranges ; un anticyclone inexistant et mal placé avec des dépressions très au sud qui créent des zones sans vent. Plus au nord, les coup de vent d’hiver s’enchaînent avec un mercure au plus bas, générant une grosse houle qui s’étend jusqu’au Brésil. Bref, on va attendre que tout cela se stabilise et que les Alizés se mettent en place. On commence néanmoins à faire le plein du bateau dans les concerts de corne de brume qui saluent le départ de candidats à la grande traversée qui semblent peu se soucier de la météo, certains voulant absolument passer les fêtes de Noël de l’autre côté.
Et puis un matin un grand et jeune gaillard m’apostrophe depuis le ponton : « je cherche un embarquement pour les Antilles, vous prenez des équipiers ? »
Après une évaluation totalement subjective du garçon, je lui répond « faut voir, repasse ce soir pour qu’on en discute ».
Et il repasse donc le soir. Ce n’est pas un entretien d’embauche mais partir pour une durée indéterminée sur une distance aussi longue dans un espace aussi restreint avec quelqu’un que l’on ne connait pas demande tout de même de savoir un peu à qui l’on a affaire. Et cela vaut pour les deux parties car nous savons aussi être pénibles.
Après une bonne heure de discussion où nous apprendrons que Luc (c’est son prénom), 24 ans dans quelques jours et citoyen suisse, s’octroie une année sabbatique et voudrait rallier la Patagonie via Panama. Tout un programme. Le jeune homme, d’un abord sympathique a déjà fait du bateau et semble conscient de ce vers quoi il veut s’engager. On va donc réfléchir. « repasse demain soir, on te dira oui ou non. »
Et ce fut oui. Luc traversera donc la grande mare avec nous.